(Songta --> Tchrana)
Jeudi 2 août
Je suis à Kunming, toujours dans la petite chambre de Pauline. Dehors, il pleut des cordes. Je viens de descendre acheter des erkuai et cela a suffit pour que je sois trempée… la mousson aujourd’hui est impressionnante ! Je n’ai jamais vu tant de pluie tomber, à part en Inde. Je pars normalement demain après-midi de Kunming pour aller à Shanghai, il faut que j’achète mon billet d’avion. Mais pour l’instant, il me reste à terminer le récit de notre passage au Tibet…
Après cette première nuit au bord de la falaise, et pendant laquelle les chevaux ont bien remué, nous levons le camp dès l’aube. Nous atteignons Songta, puis Longpu. Le soleil tape.
A Longpu, Limaguji nous apprend que lui et ses deux compagnes continuent jusqu’à Tsawalong, plus au nord. Nous décidons de continuer avec eux, d’autant plus qu’il nous assure qu’on peut y être avant la nuit et que de là, on peut voir le Kawagebo.
Pendant 3h nous continuons de longer la Salouen qui coule en contrebas sur notre gauche. Puis nous arrivons à un énorme rocher où nous nous éloignons du fleuve pour le retrouver un peu plus loin.
Nous nous arrêtons sur le chemin pour manger et pour décharger les chevaux et les laisser brouter dans un petit pâturage.
Comme d’habitude, le même rituel : aller chercher du bois, le couper à la machette, faire le feu, remplir la marmite de piment et de gras de porc, ce mélange qui sent si bon mais que nous ne pouvons avaler. Naje sort le riz froid, cette fois, je n’ai pas le courage d’aller chercher deux morceaux de bois pour en faire des baguettes, je me contente de mes mains. Caro réussit à manger un peu de riz, quant à moi j’ai du mal à l’avaler. Limaguji me propose un morceau de gras de porc emballé, donc sans piment.
Je me découpe quelques morceaux à la machette et me régale ! J’essaye de ne pas trop en manger, pour leur en laisser quand même, et leur rends le paquet, mais ils me disent que si je n’en veux plus maintenant, je peux le garder avec moi pour le manger plus tard. Pas la peine d’insister, je saisis la machette et engloutis le reste. Je ne pensais pas pouvoir manger un jour un tel morceau de gras avec autant d’appétit ! Mais il m’a semblé si bon ! Me voilà rassasiée. La tsampa est bien utile pour enlever la graisse qui dégouline de mes mains.
Après une bonne heure de marche, nous arrivons devant un pont cassé, remplacé par un petit pont instable sur lequel nos cinq chevaux ne pourront pas passer.
Nos trois tibétains sont très débrouillards, mais cette fois, je me demande bien comment ils vont faire. Même en déchargeant les chevaux, cela paraît impossible. On ne peut pas non plus traverser à gué à cause du courant et de la profondeur de l’eau. Caro les attend sur une pierre, pendant que je traverse le petit pont pour aller chercher à boire de l’autre côté, nous avons tellement soif ! 1h plus tard, j’aperçois Limaguji de mon côté du pont ! Je fais de grands gestes à Caro, elle nous rejoint, Lima nous dit de le suivre et pendant 1 ou 2h, nous marchons à vive allure (traversée du pont des vaches) jusqu’à ce que nous rattrapions Naje, Jama et les chevaux. Comment ont-ils fait ?? Y avait-il un autre pont ? Nous avons beau réfléchir, nous ne comprenons pas. Et mon niveau de chinois trop faible ne nous aide pas beaucoup. Cela restera un mystère, nous essaierons de l’élucider à notre retour lorsque nous repasserons par là.
Au pont cassé, un homme m’a dit que Tsawalong était à 10h de marche. L’après-midi est déjà bien avancée… Je demande confirmation à Lima qu’on sera bien à Tsawalong ce soir. Il nous dit qu’il ne reste plus que 2h de marche.
Nous marchons à présent parmi les cactus. Le ciel est bleu par endroits. Caro m’épate par son endurance, je n’arrive pas à la suivre dans les côtes. Naje s’arrête dans un village et nous rejoint avec un bidon de thé au beurre de yack, moins bon que d’habitude mais appréciable par cette chaleur.
Soudain, alors que nous longions la Salouen sur un sentier à flanc de montagne d’à peine 50 cm, un cheval dérape, et entraîné par son chargement, il glisse. Va-t-il tomber dans le ravin ? Que faire ? Vite, il faut détacher la sangle. Je n’y parviens pas. Je crie à Caro de se reculer car le cheval peut lui tomber dessus en essayant de s’en sortir. Naje, avec un courage immense pour sauver son cheval, se laisse glisser dans le précipice. Sa fille Jama hurle de peur. Je crains moi aussi de la voir dévaler la falaise avec
le cheval. Elle parvient à s’arrêter au milieu de la pente, et maintient son cheval de toutes ses forces au niveau de la croupe. Le temps est compté, elle ne tiendra pas longtemps et je ne parviens toujours pas à détacher la sangle, ce qui permettrait au cheval de retrouver sa position normale et de ne pas être déséquilibré. Mais pas moyen. Je tombe sur un cactus. Je cours chercher Lima et lui dit de se dépêcher car un cheval est tombé. Il me laisse son cheval, court, et sauve la situation ! Soulagement collectif… personne n’est tombé à l’eau, ni le cheval ni Naje (et mon sac est sauvé aussi par la même occasion, je le voyais déjà dévaler la pente…).
Après cet incident, nous nous attendons à voir apparaître Tsawalong à chaque nouveau tournant, mais en vain. Lima nous assure qu’il reste moins d’une heure.
La nuit tombe. Nous marchons, marchons, marchons. Je suis épuisée. Mes forces me quittent, je mets un pied devant l’autre machinalement, en me disant qu’il suffit de faire ça jusqu’à ce qu’on arrive. A 23h30, ça fait 5h que Lima nous dit qu’il reste moins d’1h. Caro tient bon, moi je me dis qu’heureusement que j’ai un bon morceau de gras dans le ventre pour tenir le coup. Naje et Jama nous ont quittées, nous ne comprenons pas, où sont-elles ? Nous marchons avec Lima et les deux chevaux le long d’une petite cascade, il n’y a pas de chemin, il fait noir mais nous avons nos lampes. Au loin, pas de lumière en vue, seules les formes noires des montagnes imposantes. Où est Tsawalong ?? N’était-ce pas le village que nous venons de passer ? Nous aurions dû nous y arrêter pour y passer la nuit. Je n’ai qu’une envie : m’arrêter là, sortir mon sac de couchage et m’allonger n’importe où ici sur ces cailloux à côté de l’eau. Cela fait 15h que nous marchons. Les chevaux ne veulent plus avancer. Lima nous dit que les chevaux sont épuisés et qu’il fait s’arrêter là. Qu’est-ce qu’on est venu faire dans cette galère ? Caro tient à monter la tente. On se couche. Lima dort dehors à côté des chevaux, il a grimpé dans l’arbre pour leur attraper du feuillage. On n’a même pas mangé ce soir. Caro sort des biscuits, j’en avale un pour dire d’avoir quelquechose dans le ventre. Et enfin, je peux dormir.
Le lendemain matin, dès l’aube, on marche encore 1h30. On comprend tout : en fait, Lima voulait nous amener jusqu’à chez lui pour nous montrer sa maison. Et de chez lui, on est plus près du Kawagebo que si on s’était arrêtées à Tsawalong, le village où on était passé vers 22h la veille. Mais nous ne lui avions pas précisé qu’aujourd’hui, on ne peut pas continuer à marcher vers le nord car il nous faut redescendre la Salouen pour retourner à Bingzhongluo. Quant à Naje et Jama, on s’est toujours demandé si elles étaient sa mère ou femme et se fille ou sœur, mais il s’agit certainement de deux villageoises habitant à Tsawalong, qui ont profité de faire la route avec lui, ce qui explique qu’elles nous aient quitté hier soir, avec les trois chevaux qui leur appartiennent. Lima fait cette marche de Bingzhongluo/Tsawalong tous les 5 jours (!!), il aime beaucoup marcher. Il me touche beaucoup. Il semble fier de nous faire entrer dans sa maison.
Il ne sait pas que de nos yeux d’occidentales, elle nous paraît plutôt rudimentaire. Au rez-de-chaussée, il y a des cochons, beaucoup de porcelets, des poules et des mules, il faut slalomer entre eux sans écraser de porcelet au passage, pour arriver à l’escalier raide qui mène au palier, puis à la salle principale avec le feu et les meubles décorés, à la tibétaine, et en haut c’est le toit, plat, d’où nous avons une vue sur le village et où nous devinons aussi le vrai Tsawalong, au loin, derrière les montagnes.
Nous passons la matinée chez lui où on nous offre de l’eau chaude et à manger, il nous emmène au temple sur notre demande. Les gens sont stupéfaits de voir deux étrangères, nous faisons encore l’attraction de la journée. A l’intérieur du temple, les tibétains font tourner les moulins à prière, de toutes tailles.